De sang et d’encre
Rachel Kadish Rachel Kadish
Une belle et grande lecture avec « De sang et d'encre » (« The Weight of Ink » = « Le poids de l'encre ») (Éditions Le Cherche Midi – 2020) de l'auteure américaine Rachel Kadish. Celle-ci, est diplômée de Princeton et vit à Boston. Elle y enseigne l'écriture créative à l'université de Lesley. Son premier roman, « Une certaine idée du bonheur » a été publié en France chez Sonatine Éditions.
« De sang et d'encre » débute ainsi :
« 8 juin 1691
11 Sivan de l'année juive 5451
Richmond, Surrey.
Qu'il me soit permis de faire une nouvelle tentative, dans l'espoir, cette fois-ci, de dire la vérité. Car, dans le silence de l'encre qui mord sur le papier, là où la vérité devrait se manifester et parler sans crainte, pendant longtemps j'ai menti. (…)
Dans cette maison réduite au silence, la plume et l'encre ne résistent pas aux pressions de ma main, pas plus que ne se dérobe le fin parchemin . Que ces pages, enfin, enferment en elles toute la vérité, même si personne ne doit les lire. »
Et lire la vérité (de ce roman historique) est bien notre intention.
Puis, on passe aux années 2000, à Londres, avec Helen Watt (spécialisée en Histoire juive), qui rencontre Ian Easton car il lui a demandé d'examiner des « documents écrits en arabe. (…) Les papiers en question étaient datés de plus de trois siècles. J'y ai jeté un coup d'oeil, et je pense qu'ils sont en fait en hébreu – il y a quelque chose, peut-être, en espagnol, adressé à un rabbin. » (p.16/17) Helen suppose qu'il s'agit d'un document genizah (une sorte de trésor). Mais il y a d'autres documents découverts dans une cachette restée longtemps ignorée. Quand Helen quitte les Easton (Ian et son épouse Bridgette), elle repense à tous ces papiers : « deux rayons peu profonds de papiers, visibles à travers l'ouverture rectangulaire ménagée par l'électricien dans le panneau du bas de l'escalier. (…) Des lettres repliées , de plus de trois cents ans, avec leurs sceaux de cire brisés… (…) Et, tombé dans le vide laissé à l'endroit où l'artisan avait enlevé un volume, un feuillet blanc cassé. » (p.27)
Helen Watt va avoir le renfort de Aaron Lévy pour travailler sur cette grande découverte, d'une immense portée. Il y a également (parmi d'autres documents), « un livre de prières relié en cuir, publié en portugais et en hébreu à Amsterdam en 1650. (…) La lettre, à elle seule est remarquable , car son auteur s'adresse à Manassé sur un mode intime. » (p.32)
On suit donc cette histoire et les chapitres alternent, la plupart du temps, entre les années 1660 et les années 2000. Ils s'entrecroisent pour démêler un écheveau où Shakespeare est très souvent cité, ainsi que Spinoza. Ces documents sont bien troublants car ils mentionnent le nom de Dieu. Ils n'auraient pas dû être ainsi cachés de cette façon.
Le travail d'Helen et de Aaron comporte de nombreux aléas - de questionnements - de multiples recherches – le scribe (un certain Aleph) qui écrit à la place de R. Mosseh HaCoenMendes, le fait parce que celui-ci est aveugle et adresse les missives à un certain « éminent Manassé ben Israel. »
Les différents chapitres montrent le travail d'Ester, « ses relations avec Shakespeare » ainsi que ses lettres avec Spinoza. D'ailleurs, ce seul nom de Spinoza est celui qui donne une énorme valeur autant Historique que financière, ce qui fait qu'ils sont convoités, en compétition entre deux équipes universitaires. On voit aussi la condition des femmes au XVIIème siècle, ces femmes érudites et instruites – on découvre l'Inquisition - la peste – de nombreuses réflexions philosophiques – ainsi aussi, malgré toute cette gravité, de l'amour….
On suit les univers principalement de deux femmes : celle qui enquête (elle est assez âgée pour prendre sa retraite), ainsi que sur celle qui a pris une grande place dans ce récit. Au départ, il y avait « un » scribe pour ensuite se transformer en « une « scribe. Cela est à découvrir pour le pourquoi et le comment. Je peux tout de même dire qu'il s'agit de : Helen Watt et Ester Velasquez, quant au reste….
Je préfère vous laisser découvrir ce bel ouvrage que j'ai lu, en prêtant bien attention au texte car tout est important (même si parfois cela peut sembler ardu car ouvrage plutôt dense : 565 pages, mais vraiment intéressant,. Si j'ai ai écrit ouvrage très dense, ce n'est pas pour moi le nombre de pages, c'est surtout à cause de la somme d'informations qu'il ne faut pas négliger de lire.
« De sang et d'encre » de Rachel Kadish n'est pas un ouvrage que l'on aurait pu croire un simple roman, bien au contraire, il a été conçu avec une très importante documentation aussi bien sur L Histoire que les traditions et la religion juives. D'ailleurs, en page 557, il faut lire la «Note de l'auteur » où Rachel Kadish cite tous les ouvrages qui l'ont aidée dans son travail. Et c'est énorme.
Des écrivains ont écrit des éloges et j'ai choisi ceux-ci : « Un écrivain béni, avec un sens de la nuance et de la narration qui n'a d'égal que son penchant pour la passion. » (Toni Morrison) et : « Nous assistons à la naissance d'un écrivain remarquable» (Russell Banks).
Des éloges si bien mérités.
Nadia d'Antonio
Edité par le cherche midi, 17 septembre 2020 le cherche midi éditeur
23 €