En librairie demain :
Un fugitif à Walden,
Norman Lock
« Je ne parlerais pas tant de moi-même s'il y avait quelqu'un d'autre que je connaisse bien. » (Henry David Thoreau. »
« L'histoire n'existe pas. Seule existe la biographie. » (Ralph Waldo Emerson)
C'est dans les « Remerciements » que l'auteur nous révèle que : « Même si ce récit semble nourri d'événements historiques, je ne prétends pas être historien. (…) Avoir écrit cette histoire du point de vue d'un homme noir qui fut aussi esclave relève de la présomption pure ; mes raisons étaient néanmoins respectables, et parmi celles-ci, je désirais apprendre quelque chose sur moi-même et réfléchir aux épreuves endurées par Samuel Long en tant que membre de la race qui en fut responsable. (…) Je me suis inspiré d'un certain nombre d'oeuvres de Thoreau, d'Emerson et de Hawthorne, mais j'ai aussi lu ou consulté des sources secondaires d'une valeur inestimable….. »
Ce livre, c'est « Un Fugitif à Walden » (Editions Rue de l'échiquier fiction) de Norman Lock (écrivain américain). « Commencé le 11 mai 1862 par Samuel Long, esclave affranchi, en souvenir de Henry Thoreau, décédé le 6 mai de cette année-là ; terminé à Philadelphie le 20 décembre 1862. »
Eté 1845 - Automne 1846 : Samuel Long, un esclave, raconte : »J'étais un fugitif depuis 44, quand je me suis libéré de l'écurie où mon maître m'avait fait entraver près de Bucéphale, son pur-sang le plus précieux. (…) Pour me désentraver, il me fallut du zèle, de la détermination, une hache et un seau de goudron. (…) Heureusement pour moi, une seule menotte m'assujettissait à la stalle de Bucéphale - Jéroboam appelait ça une « manche de nègre ». J'avais beau vouloir m'échapper à tout prix, je n'aurais jamais eu le courage de me couper les deux mains. »
Samuel Long (qui s'est réfugié dans une cabane dans les bois, proche de la cabane de Henry David Thoreau) finit par le rencontrer ainsi que d'autres personnages importants pour l'histoire. Et c'est du point de vue de Samuel que nous découvrons la Nouvelle-Angleterre, telle qu'elle était au milieu du XIXe siècle, après avoir fait ses voyages avec « le chemin de fer clandestin », qui l'ont conduit à Concord ( Massachusetts ). C'est Ralph Waldo Emerson qui a installé Samuel dans cette cabane – il est lui-même très inquiet de la santé de Thoreau, connu pour sa « consommation. » Samuel devient un ami, un partenaire de pêche mais également un confident de Thoreau.
Cet ouvrage excelle par le mélange d'histoire et de fiction. Samuel fait également connaissance de Nathaniel Hawthorne, ainsi que d'autres écrivains ou philosophes des années 1800.
De Thoreau, il en est grandement question car il se confie beaucoup à Samuel et lui explique tout ce qu'il voit – ce qu'il lit ou a lu – son amour de la nature (la forêt, les bois...) – il dit en avoir assez de l'art, des hommes civilisés. « Je vis le vrai Henry Thoreau : généreux et mesquin, grégaire et reclus, doux et grossier, érudit et commun, confiant et effrayé, ainsi que nous le sommes tous. »
De cette rencontre, il ressort que Thoreau dévoile à Samuel les mécanismes du racisme et des privilèges.
Ce que l'on peut retenir de cet ouvrage très détaillé, c'est que nous assistons à un aperçu de l'histoire des Etats-Unis un peu avant la guerre de Sécession, la préparation du « chemin de fer souterrain » - nous rédécouvrons l'oeuvre de Henry David Thoreau qui a été jugée comme ayant posé les premières pierres de «l'écologie décoloniale » - la grande question de la différence entre ce que signifie être un homme Blanc et un homme Noir – combien sa retraite dans les bois est importante…. Toute une galerie de portraits qui nous en apprennent beaucoup non seulement pour toutes les réflexions faites mais aussi pour les évocations de l'Afrique qui reviennent à l'esprit de Samuel Long comme : « Le nom Congo dérive de « kikongo », la langue parlée par les Bantous, qui habitent les vastes forêts du centre de l'Afrique de l'Ouest. le kikongo fut parlé par de nombreux esclaves amenés dans les Amériques. »
Mais il est très difficile de parler de ce livre très dense en seulement quelques lignes et c'est la raison pour laquelle je n'ai fait qu'en donner quelques exemples. Chaque page apporte toujours un plus à ce récit et non des moindres.
Alors, plutôt que de m'éparpiller dans des descriptions ou des notifications, je vais en rester là mais après avoir relevé ces quelques lignes :
« Je me souviens pourtant de Henry fulminant… Eh bien, Henry fulminait souvent et, tout aussi souvent, souriait comme le premier venu. En fin de compte, le Henry Thoreau auquel les pages de ce livre donnent forme sera mon Henry Thoreau. Car il y avait autant de Henry que de gens qui avaient une opinion sur lui .» Un Henry qui expérimente une vie nouvelle - il fait pousser des haricots – fait du troc avec Samuel Long – il écrit sur la beauté de la nature environnante….
Ne pas omettre de lire les Remerciements ainsi que la Postface (de Mathieu Rivat).
Edité par Rue de l’échiquier, 6 mai 2021 Éditions Rue de l'échiquier
19 €